VI
LA CROIX DE SAINT-GEORGES

Bolitho mit son bras sur ses épaules et lui dit :

— Nous sommes allés assez loin, Kate. Le sentier n’est pas sûr, même par ce beau clair de lune.

Ils se tenaient côte à côte sur le chemin sommaire qui partait du château de Pendennis et contemplaient la mer. Elle brillait comme du métal en fusion, avec une telle intensité que les étoiles en paraissaient faiblardes, presque insignifiantes.

Ils avaient fait de la marche ou des promenades à cheval tous les jours depuis leur retour de Londres, savourant chaque instant, partageant toutes leurs heures et se gardant de parler de l’avenir.

Pour lors, les collines étaient couvertes de bleuets et d’ajoncs d’un jaune éclatant.

Combien de temps encore ? Peut-être trois jours. Au mieux.

Comme si elle lisait dans ses pensées, elle lui dit doucement :

— Demain, ton Indomptable va arriver.

Elle se détourna légèrement et il sentit qu’elle le regardait. Elle avait ôté ses peignes et sa chevelure sombre ruisselait sur ses épaules.

— Tu crois que nous nous apaiserons un jour, Richard chéri ?-elle hocha la tête, mécontente d’elle-même : Pardonne-moi. Ce n’est facile ni pour toi ni pour moi. Mais tu vas me manquer.

Elle se tut, incapable de parler davantage de ce qui les préoccupait tous les deux.

— Il y aura toujours des adieux, mais nous ne serons jamais séparés.

De petites lumières scintillaient sur l’eau, comme des étoiles tombées qui se noyaient dans la lumière de la pleine lune.

— Des pêcheurs, dit Bolitho – il essaya de sourire : Ou les douaniers qui cherchent un autre genre de prise.

— Tu te souviens de ce que nous nous sommes promis l’un à l’autre ?

Elle avait mis un châle, mais il avait glissé et l’on voyait ses épaules nues au clair de lune.

— De ne pas perdre une seule minute, Kate. Mais c’était avant. Maintenant est maintenant. Je ne veux plus jamais être séparé de toi. Une fois que cette affaire sera réglée…

Elle posa ses doigts sur ses lèvres, ils étaient glacés.

— Je suis si fière de toi, et tu ne comprends même pas pourquoi. Tu es le seul homme capable de réussir. Tu as de l’expérience, tu as remporté tant de succès, et tu communiqueras ton enthousiasme à tous ceux qui sont sous tes ordres. Leurs Seigneuries t’ont-elles accordé tout ce que tu demandais ?

Il lui caressa les épaules. Cette douceur, cette fermeté, voilà qui l’excitait tout d’un coup.

— Tout ce dont ils disposent, pour être plus précis. En dehors de L’Indomptable et de la Walkyrie, j’aurai six frégates, dès que l’Anémone aura fini de caréner à Plymouth. Et j’aurai aussi trois bricks. Tout cela ne fait pas une flotte, mais une escadre volante avec laquelle il faudra compter. Grâce à Dieu, la Larne a reçu ordre de reprendre les croisières contre la traite. Pour Tyacke, cela aurait été un supplice de l’avoir sous les yeux jour après jour.

Ses pensées revenaient à George Avery. Il n’était pas chez eux, il était descendu à l’auberge de Fallowfield, où Allday devait être de plus en plus crispé à l’idée que l’heure de l’appareillage approchait. Cela pouvait le soulager, avoir quelqu’un à qui parler du bâtiment et de leur destination. De même que cela pouvait rendre service à l’aide de camp et l’aider à se remettre de la mort de sa sœur, à se convaincre qu’il n’aurait rien pu faire pour la sauver.

Catherine lui dit brusquement :

— Richard, te fais-tu du souci pour ta fille ?

Bolitho buta contre un caillou et, immédiatement, elle le prit par le bras pour l’aider.

— Décidément, Kate, on ne peut rien te cacher – il hésita un peu : Dans deux mois, elle aura neuf ans. Mais je ne la connais pas, et elle ne me connaît pas davantage. Sa mère en a fait une espèce de poupée, pas une enfant.

C’était toujours la même chose, ce sentiment de culpabilité, le sens de sa responsabilité. Rien dont Kate puisse se montrer jalouse. Et, comme s’il lisait dans ses pensées, il ajouta :

— Je n’aime que toi.

Catherine se tourna vers lui.

— Je n’oublierai jamais que tu as tout abandonné pour moi – voyant qu’il allait protester, elle secoua la tête : Non, Richard, écoute-moi. A cause de notre amour, on t’a fait souffrir, quand toute l’Angleterre aurait dû honorer le plus brave et le plus éminent de ses chefs de guerre – elle se radoucit : L’homme qui a oublié de dire à celle qu’il aime qu’il était promu amiral !

— Mais je ne pourrai jamais oublier tout cela !

Il l’obligea à se tourner vers le flanc de la colline plongé dans l’ombre. « On va bientôt envoyer des gens à notre recherche. Nous ferions mieux de rentrer à la maison. »

Elle passa le bras autour de sa taille.

— La maison.

Un seul mot, qui disait tout.

Le ciel était lumineux, mais la demeure de pierre n’en devenait pas moins austère pour autant. On apercevait de la lumière dans la chaumière voisine. Ferguson, le majordome de Bolitho, était encore debout, occupé à tenir ses livres ou mijotant quelque chose qui ferait plaisir à son vieil ami Allday avant son départ.

Un vieux chien dormait paisiblement dans la cour. Il était complètement sourd et ne pouvait plus remplir son office de chien de garde. Mais tout comme les infirmes et les estropiés qui travaillaient dans la propriété, restes de la guerre sur mer, il faisait partie des lieux.

Cela faisait un effet bizarre, ne pas voir de feu dans la grande cheminée. L’été allait bientôt arriver. Catherine serra un peu plus sa main sur son bras. Mais ils n’en jouiraient pas ensemble. Elle lança un rapide regard au tapis devant l’âtre. C’était ici même que deux jeunes gens, persuadés d’avoir perdu tout ce qui leur était cher, s’étaient trouvés, s’étaient aimés, et en souffraient encore mille morts.

Elle avait bien senti la gêne de Richard lorsqu’il avait fait allusion à l’Anémone d’Adam, qui relâchait toujours à Plymouth. Que ce secret était lourd à porter.

Jetant un coup d’œil par-dessus l’épaule, elle vit la mer qui brillait au clair de lune derrière les fenêtres. L’ennemie. Elle sentait la présence de ces portraits qui l’observaient dans l’escalier. Tous étaient partis d’ici pour ne plus revenir. Elle songea au portrait d’elle que Richard voulait qu’elle fasse faire et elle se demanda une seconde s’il n’aurait pas aimé non plus en avoir un de son frère Hugh, mais ce n’était pas le moment de lui poser cette question. Son homme était sur le point d’aller se battre contre les Américains et elle pressentait que, dans ce climat d’hostilité, aucun des deux pays ne céderait. Trop de choses étaient en jeu. Richard n’aurait pas envie qu’on lui rappelle la trahison de son frère. Si Hugh avait su l’existence d’Adam, peut-être aurait-il agi différemment. Mais le destin avait écrit le cours des choses, et l’on ne pouvait y revenir.

Ils s’approchèrent des fenêtres grandes ouvertes pour écouter le silence. Ils entendirent une chouette, et Bolitho laissa tomber :

— Cette nuit, les souris feraient bien de se montrer prudentes.

Le vaisseau devait arriver le lendemain. Il serait totalement absorbé par ses affaires et hanté par leur séparation inéluctable. Elle lui dit :

— Ce brave Bryan nous a sorti du vin !

Il la prit dans ses bras et la sentit se raidir.

— Il savait bien.

— Il savait bien quoi ?

— Que j’aurais envie de toi, Kate chérie. J’ai besoin de toi.

Elle le laissa l’embrasser, sur les lèvres, sur la gorge, puis sur son épaule nue. Elle regardait ses mains aller et venir dans cette étrange lumière qui dansait sur sa robe, jusqu’à ce qu’elle se sentît incapable d’attendre plus longtemps.

Elle était là, debout telle une statue d’argent dénudée, ses jolis seins dressés, les bras tendus pour tenter de l’éloigner.

— Déshabille-toi, Richard.

Elle s’allongea dans la lumière nocturne et l’attira près d’elle. Lorsqu’il la toucha, elle s’écria :

— On dit de moi que je suis une putain, mon chéri…

— Je tuerai le premier qui…

Elle s’agenouilla, suivit du doigt toutes ses cicatrices, même la profonde balafre qui creusait son front.

Elle l’embrassait, non de petits baisers tendres, mais avec une sorte d’abandon violent qu’il lui avait rarement connu. Il essaya encore de l’étreindre, mais elle le repoussait.

— Je vais te tourmenter, Richard. Cette nuit, tu es mien, totalement mien !

Ses doigts l’effleuraient, s’agrippaient à lui, et elle ne cessait de l’embrasser, sa langue explorait son corps comme il avait lui-même si souvent exploré le sien.

Elle s’éloigna, il sentit ses seins qui se balançaient au-dessus de sa peau, prolongeant chacune de ses sensations.

Et, brutalement, elle se coucha sur lui, l’enserra entre ses jambes en le regardant dans les yeux.

— Bon, je t’ai assez taquiné, tu vas recevoir ta récompense.

Il s’approcha pour la posséder, mais elle fit semblant de résister. Sa silhouette nue se découpait sur le ciel lunaire. Elle poussa un cri lorsqu’il la pénétra.

Lorsque l’aube jeta ses premiers rais de lumière dans le ciel, ils dormaient, enlacés sur le lit. Le vin était toujours là, intact, la chouette s’était tue depuis longtemps. Catherine ouvrit les yeux, se tourna lentement pour contempler son profil. Dans son sommeil, il paraissait tout jeune.

Elle laissa courir ses doigts sur son corps, elle ne voulait pas le réveiller, elle ne voulait pas risquer de briser ce moment. Elle se caressa en souriant. Putain, amante, maîtresse, je serai tout cela à la fois si tu le veux.

Elle reprit ses caresses et attendit, le cœur battant, qu’il réagisse.

Ce fut comme si elle avait pensé à voix haute. La seconde d’après, il s’était saisi d’elle, comme d’une captive.

— Tu n’as honte de rien, Kate !

Puis il l’embrassa passionnément, la laissant haletante tandis qu’il la prenait sans ménagement.

Dehors, dans la cour, Ferguson leva les yeux vers les fenêtres ouvertes. Les rideaux volaient sur les rebords, agités par la brise de terre.

Tant d’années s’étaient écoulées depuis que la presse lui avait mis la main dessus. Il lui arrivait encore d’y penser. Surtout quand les détachements passaient dans les rues, à la recherche de recrues. Il songeait aussi à la bataille des Saintes où il avait perdu un bras, et au cours de laquelle le maître d’hôtel de Bolitho s’était fait tuer en essayant de protéger son commandant. Et depuis, le petit équipage avait progressivement grossi. Allday, lui aussi victime de la presse, était devenu maître d’hôtel de Bolitho, et il allait bientôt reprendre la mer.

Il entendit Lady Catherine éclater de rire. Ou bien étaient-ce des larmes ? Cela le troublait beaucoup. Plus que ce qu’il avait jamais éprouvé.

 

John Allday balaya du regard la salle du Vieil Hypérion et annonça :

— Ainsi, L’Indomptable jettera l’ancre demain.

Le lieutenant de vaisseau George Avery l’observait, l’air songeur. Cet Allday-là était bien différent de celui qu’il avait vu dans la fumée de la bataille, ou recueillant Sir Richard Bolitho dans ses bras quand il avait été touché par des éclis. Et il ne ressemblait pas davantage au bel homme qu’il avait vu se rendre à son mariage, ici même, à Fallowfield, au bord de la Helford.

De toute évidence, il n’était pas encore habitué à sa nouvelle vie, et Avery compatissait. L’endroit était étrangement paisible.

Il entendait Unis, la femme d’Allday, discuter avec un laboureur dans la pièce voisine, et le pilon de son frère John occupé à sortir un tonneau de bière.

L’endroit était chaleureux et il se félicitait d’y avoir pris pension après avoir appris la mort d’Ethel. Il y avait mangé et dormi comme rarement, et Unis avait été très gentille avec lui.

Il dit à Allday :

— Enfin, c’est ce que disent les gardes-côtes.

Des sentiments divers agitaient la figure tannée d’Allday. Il avait besoin de partir, et il avait envie de rester. Se trouver à la table d’un officier ne le gênait plus. Ni moi non plus. Il suivait l’exemple de Bolitho. Mon petit équipage. Allday approcha une bougie allumée et reposa sa pipe. Il entreprit de s’expliquer.

— Tout est tellement différent, vous voyez, capitaine ? Les gens d’ici parlent de leurs fermes et de ce qu’ils ont vendu, et de leurs grains – il secoua sa grosse tête hirsute : J’ai cru que j’allais m’habituer. Que j’allais me résigner à vivre à terre.

Il fixait la superbe maquette qu’il avait fabriquée et qu’il avait offerte à Unis, celle du vieil Hypérion, le vaisseau à bord duquel son premier mari s’était fait tuer.

— Mais, non, c’est pas encore pour maintenant.

Avery entendit le poney et la carriole qu’on apprêtait dans la cour pour le ramener à Falmouth. On risquait d’avoir besoin de lui à n’importe quel moment. Il songeait à la colère qu’avait piquée Tyacke et se demandait comment il réagirait lorsqu’ils se reverraient.

Allday poursuivait :

— Et puis, y’a tous ces vieux mat’lots qui viennent ici. Y’en a pas un qui soye encore entier. Mais quand on les entend causer, on croirait que tous les commandants sont des sacrés saints, que chaque jour en mer était un jour de fête !

Son visage s’éclaira d’un large sourire :

— M’est avis qu’c’est pas c’qu’y pensent vraiment, j’vous en fous mon billet !

Unis arriva dans la salle et s’exclama :

— Mais non, monsieur Avery, ne vous levez pas !

Avery resta debout. C’était un joli petit bout de femme, naturelle et pas compliquée pour un sou, comme la campagne environnante avec ses fleurs et ses abeilles. Elle n’avait sans doute jamais vu de sa vie un officier se lever pour elle. Ni qui que ce soit d’autre, d’ailleurs.

— Je dois prendre congé, madame Allday, lui dit-il.

Cette simple appellation paraissait étrange. Il les vit échanger un rapide coup d’œil. Le marin costaud et pataud, et la femme à laquelle il n’aurait jamais osé rêver. Leurs regards disaient tout. Inquiétude, mais courage aussi, ils savaient exactement ce que tout ceci signifiait. Elle répondit :

— John, va donc avec Mr Avery. Et salue bien de ma part Lady Catherine – puis, se tournant vers Avery : Une bien belle dame, celle-ci. Elle a été si bonne avec moi.

— Bon, Unis, lui répondit Allday en hésitant un peu, si tu n’as pas besoin de moi…

Croisant les bras, elle fit semblant de prendre l’air grondeur.

— Tu sais bien que tu meurs d’envie de voir Sir Richard, alors, fiche-moi le camp. Et reviens ici ce soir.

Elle l’embrassa. Elle était obligée de se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre son visage.

— Tu n’es qu’un vieil ours susceptible, voilà ce que tu es, John Allday.

Avery dit impulsivement :

— J’ai été si heureux ici.

Il avait un tel air de sincérité que, furtivement, elle s’essuya les yeux du bout des doigts.

— Vous serez toujours le bienvenu. Enfin, jusqu’à ce que vous soyez établi.

— C’est cela. Merci, madame Allday.

Elle posa la main sur sa manche et il l’entendit lui dire :

— Vous n’êtes guère causant, et je n’ai pas le droit de vous arracher votre secret, mais vous avez eu bien du souci ces dernières années, ça on peut le dire – elle lui secoua gentiment le bras : Et même si c’est bien triste, c’est de la mort de votre sœur que je veux parler !

Il lui prit la main, une main usée par les travaux, et la baisa. Il en émanait une odeur de fruit et de farine.

Elle resta aux côtés de son frère et regarda Allday hisser les coffres de l’officier dans la carriole.

Puis le poney fit claquer ses sabots dans la cour, la voiture sortit de l’ombre de l’auberge pour s’engager dans le beau soleil d’avril. Elle dit à son frère d’une pauvre voix :

— Oh, John, pourquoi faut-il que tout soit ainsi ?

Son frère, qui s’appelait également John, doutait qu’elle s’adressât vraiment à lui. Il lui demanda lentement :

— Tu lui as dit ?

Elle hocha négativement la tête.

— Ce ne serait pas honnête. Non, ce ne serait pas convenable.

Elle posa la main sur son tablier.

— Y’va avoir bien assez de souci à aller se battre contre ces Yankees. J’veux pas qu’y s’fasse du souci pour moi en plus – elle sourit : Et en plus, j’suis pas sûre. J’suis un peu vieille pour avoir un enfant.

Son frère lui passa le bras autour de la taille.

— Tu es courageuse, ma mignonne.

Unis mit une main sur son front, mais la carriole avait disparu derrière la haie où des martinets plongeaient comme des flèches. Elle dit brusquement :

— Mon Dieu, John, il va tellement me manquer.

Elle avait l’air pleine de courage et il se sentit fier d’elle.

— Mais j’vais pas me laisser aller, et j’laisserai rien paraître.

Elle songeait au lieutenant de vaisseau, si triste, avec ses yeux foncés. Allday lui avait dit que c’était Avery qui lisait les lettres qu’elle lui adressait. Cela l’avait profondément touchée, encore plus maintenant qu’elle le connaissait mieux. Il y avait une femme derrière cette tristesse, elle en était sûre. Peut-être que lorsqu’il lisait ce qu’elle écrivait à Allday, il s’imaginait que c’était à lui que c’était destiné.

Quelqu’un appelait dans l’auberge, elle releva ses cheveux et se préparait déjà à aller servir.

— J’y vais, ma fille. Reste donc ici rêver un peu.

Elle lui sourit. On aurait dit le soleil qui perce à travers les nuages.

— Non, je m’occupe de lui ! Toi, va fendre un peu de bois – elle se retourna vers la route : Il va faire froid ce soir sur le fleuve.

Puis elle redressa les épaules et passa le seuil.

L’homme de ses pensées était assis à l’arrière de la voiture, une jambe pendant dans le vide, et admirait la campagne. Il savait que les adieux ne seraient pas faciles. Des chiens rassemblaient des brebis dans un champ, il se souvenait de l’époque où il était berger, lorsque la Phalarope avait mis à terre un détachement de presse et mis la main sur plusieurs hommes qui essayaient de se mettre à l’abri. Et j’en étais. Personne n’avait su que le jeune commandant de cette frégate était un homme originaire de l’endroit, né et élevé à Falmouth avant de prendre la mer, comme tous les Bolitho. Il était passé pas mal d’eau sous les ponts depuis lors. Le jeune Adam était lui-même un remarquable commandant de frégate à cette heure… Il soupira, en se souvenant de son fils à lui, qui avait quitté la marine pour aller s’installer dans cette terre promise qu’était l’Amérique. La blessure n’était pas refermée. Et elle ne se refermerait jamais ; cette façon qu’avait eue son fils de se détourner de lui, au lieu de servir comme maître d’hôtel d’Adam…

Et maintenant, Richard Bolitho qui avait été promu amiral. Et je suis le maître d’hôtel d’un amiral, comme je le lui ai promis. La marque en tête du grand mât. Comme le temps passe, songeait-il, troublé par le train où allaient les choses : mais où cela les menait-il ?

Avery regardait lui aussi le paysage. Mais lui pensait aux derniers mots d’Unis Allday. Ses soucis. Comment était-elle au courant ?

Ils croisèrent deux paysans qui leur firent de grands signes en criant : « Et vous allez nous foutre une bonne trempe à ces salopards ! »

Avery leva sa coiffure pour les saluer, il avait en mémoire les mots amers qu’avait eus Bolitho lorsqu’ils avaient rallié cette malheureuse Walkyrie à Plymouth.

Ces hommes, que pouvait bien leur faire qu’ils aillent se battre contre untel ou untel ? Hollandais, Français ou Espagnols, pour eux, c’était tout un. Tant qu’ils avaient le ventre plein et qu’on ne les obligeait pas à embarquer ou à marcher au pas derrière un tambour, qu’est-ce que cela pouvait bien signifier pour eux ? Il eut un sourire triste. Je deviens cynique, comme Sir Richard. Pour se changer les idées, il s’adressa à son compagnon.

— Vous avez une femme en or, Allday. Je vous envie.

Les yeux d’Allday devinrent tout brillants.

— Et il va falloir qu’on s’en occupe pour vous, capitaine, pas vrai ?

Avery sourit à son tour. Il n’aurait jamais cru possible ce genre de relation dans un monde aussi rigide que la marine. Allday lui demanda :

— Vous êtes triste de partir, capitaine ?

Avery réfléchit un moment, il se rappelait les adieux désespérés de sa sœur. Si seulement j’avais su.

Il finit par secouer la tête.

— Non, je ne laisse personne derrière moi.

Allday le regardait pensivement. La plupart des gens devaient juger que le lieutenant de vaisseau Avery avait tout ce que peut souhaiter un homme. Aide de camp de l’amiral le plus célèbre d’Angleterre, avec de bonnes chances de promotion et de parts de prise, dont les autres se voyaient privés. Et pourtant, il n’avait rien.

Cette découverte le surprenait et l’attristait à la fois. Il demanda timidement :

— Peut-être que vous auriez la bonté d’écrire une lettre de ma part quand on aura levé l’ancre, capitaine ?

Avery arrêta ses yeux sur lui. Comme un homme à qui on jette une ligne de vie.

— Ce serait un honneur – il faillit ajouter : Mon vieux.

Lorsqu’ils arrivèrent, Catherine Somervell traversait la cour avec une brassée de fleurs. Elle les regarda descendre de voiture.

— Quelle surprise ! Monsieur Avery… et John Allday ! Je ne m’attendais pas à recevoir des visiteurs de marque !

Elle tendit la main, Avery la prit – non pas comme Sillitœ, se dit-elle, ni comme le Prince régent. Il la baisa, elle perçut son hésitation. Peut-être ne savait-il pas sur quel pied danser avec elle, à cause de sa relation avec Bolitho. Et elle ne saurait peut-être jamais.

Puis elle se tourna chaleureusement vers Allday.

— Alors, John Allday. Je jurerais que vous vous êtes refait une santé ! Une bonne cuisine et de l’amour, voilà qui vous fait des miracles chez un homme, physiquement et moralement.

Un peu gêné, Allday lui répondit :

— Il faudra que je rentre, milady. Mais demain…

— Ah oui, demain. Nous allons essayer de faire au mieux.

Bolitho les observait depuis une fenêtre à l’étage. Sa Kate entre ces deux hommes en uniforme. Elle semblait si à l’aise avec eux, tellement à sa place. Il repensait à elle, cette nuit, et à leur désespoir mutuel. L’amour, la passion, et cette angoisse muette au moment de se séparer.

Un rayon de lumière filtrait à travers les feuilles, la brise de terre soufflait. Il porta la main à son œil, comme s’il avait été piqué. Il le cacha et, au bout de quelques secondes, il eut l’impression que sa vision redevenait nette. C’était sans doute l’effet des gouttes prescrites par le médecin. En bas, Catherine se retourna, toujours entre les deux hommes qui comptaient le plus pour lui. Elle était aussi grande qu’Avery, et peut-être un peu plus qu’Allday.

Elle avait dû sentir ses yeux posés sur elle. Elle leva la tête, le regarda intensément, elle avait peut-être deviné ce qui venait de se passer.

Elle lui tendit ses fleurs et lui lança un baiser.

Mais tout ce qu’il entendit, ce fut sa voix dans le vent. Ne me quitte pas.

 

Le capitaine de vaisseau James Tyacke se tenait près de la lisse de dunette et regardait toutes ces silhouettes s’agiter. Un terrien peu au fait de ces choses aurait jugé que c’était le plus grand chaos. Il posa sa main bronzée sur la lisse et se surprit lui-même à constater qu’elle restait immobile, alors qu’il tremblait de tous ses membres sous l’effet de l’excitation, une excitation qu’il avait rarement connue.

Ce n’était pas par insouciance. Enfin, pas exactement, mais il lui avait fallu découvrir ce que savaient faire son bâtiment et un équipage qu’il ne connaissait pas.

Peu après que L’Indomptable eut levé l’ancre et franchi sans encombre le Sound, le vent avait légèrement forci, le temps de venir à la nouvelle route, cap suroît pour remonter la Manche. Les embruns volaient par-dessus la guibre et arrosaient copieusement jusqu’aux hautes vergues où des silhouettes tout étonnées et hésitantes se faisaient houspiller pour passer d’une tâche à une autre.

Le lieutenant de vaisseau Scarlett avait fini par lui dire, après moult hésitations :

— Il nous manque une trentaine d’hommes, commandant.

Tyacke lui avait jeté un regard bref.

— Au combat, c’est ce que nous perdrions en moins d’une minute.

— Je… je sais, commandant.

Tyacke avait répliqué sèchement :

— Je sais bien que vous savez, mais la plupart de ces hommes ne savent pas, eux. Mettez-moi donc plus de monde là-haut et envoyez toute la toile !

Le vent et la mer qu’ils prenaient par le travers montaient à l’assaut de L’Indomptable, tout énorme qu’il fût. Le bâtiment et le lion qu’il suivait semblaient tous deux bondir d’un creux dans l’autre. Les embruns et l’écume ruisselaient de la toile gonflée, faisant comme une pluie tropicale. Tyacke s’était tourné vers leur maître pilote. Ses cheveux grisonnants volaient au vent. Bras croisés, il surveillait ses timoniers et ses seconds maîtres. Il sentit que le commandant l’observait et leva la tête, les yeux brillants, en criant :

— Il en est capable, commandant !

Tyacke s’était rendu compte que Scarlett et Daubeny, troisième lieutenant, le suivaient du regard, accrochés aux haubans. Il ordonna :

— Les bonnettes, monsieur Scarlett !

Comme des oreilles géantes, on déferla les bonnettes de leurs bâtons. Les gabiers glissaient et s’accrochaient comme ils pouvaient.

Il leva la tête vers les vergues brassées carré et les voiles carguées, au milieu des mouettes qui criaient et dessinaient des cercles en quête d’ordures, encore tout étonné de ce qu’il avait réussi à faire. Par ce qu’ils avaient tous réussi à faire, d’une façon ou d’une autre. Les espars avaient tenu, même si la grand-vergue se courbait comme un arc sous l’énorme poussée du vent. Çà et là, une manœuvre avait lâché, dans un grand claquement de mousquet qui dominait le vacarme, mais c’était chose normale quand drisses et boulines étaient neuves. Le gréement, bien amariné et raidi, avait subi le choc sans se plaindre, n’étaient les claquements et les bruits d’explosion de la toile qui battait.

Tyacke se dirigea vers le couronnement. C’était bien cela. C’est pour cela que L’Indomptable était différent de tous les autres vaisseaux. Il entrait puissamment dans l’eau, même dans un début de tempête. Le bruit, terrifiant pour ces terriens non entraînés, était euphorisant ; à chaque plongeon dans des gerbes irisées d’embruns, le navire chancelait dans un fracas qui faisait songer à une tornade s’abattant sur une forêt. Un bruit menaçant et qui s’intensifiait sauvagement jusqu’à devenir hurlement de triomphe. Le pilote, Isaac York, avait mesuré une vitesse de quelque quinze nœuds, alors que, par ce temps, la plupart des navires auraient été tentés de réduire la toile – ou, s’ils étaient sous-armés, de prendre la cape sous huniers seuls jusqu’à ce que les choses se calment.

Comme ils se rapprochaient de terre, Tyacke avait posé la main sur le bras de son second, et il était sûr qu’il avait sursauté.

— Réduisez la toile, je vous prie, monsieur Scarlett.

Ce dernier était rempli de confusion, croyant peut-être qu’il avait mal compris l’ordre. Tyacke lui avait alors montré la batterie de vingt-quatre à bâbord.

— C’est vous qui décidez. Si nous combattons, et si je tombe, c’est vous qui commanderez. En êtes-vous capable ?

Scarlett l’avait regardé fixement. Il y avait beaucoup de trafic côtier, des bateaux entraient et sortaient du port. La largeur entre les deux pointes, la pointe de Pendennis et le château St Anthony, était à peu près celle d’une porte de ferme.

Mais York était à deux pas, et Scarlett n’avait pas hésité.

Tribord amures, toutes voiles carguées à l’exception des focs et huniers, L’Indomptable devait offrir un spectacle impressionnant.

Mais maintenant qu’ils étaient en sécurité au mouillage, il se demandait encore ce qui avait bien pu lui prendre. Si Scarlett avait percuté un autre bâtiment ou s’il s’était échoué, le commandant aurait été tenu pour responsable. Comme il est de règle.

Scarlett revint.

— Tout est clair, commandant.

— Très bien, mettez le canot de l’amiral à la mer et confiez-le à mon maître d’hôtel – il ne put s’empêcher de sourire : Et je suis bien sûr qu’Allday prendra la manœuvre au retour.

Visiblement, Scarlett n’y comprenait rien. Comme tous les autres ici, il ignorait tout de la légende. Il saurait bien assez vite. Il entendit un cri de douleur, un homme courait vers l’avant en se tenant l’épaule ; un bosco lui avait donné un coup de canne. Non loin de là, l’enseigne de vaisseau Philip contemplait la terre. L’incident lui avait échappé. Tyacke dit à son second :

— Veuillez rappeler à ce jeune homme ce que j’ai déclaré en prenant mon commandement. Un officier doit être obéi. Il doit également donner l’exemple.

Il avait instinctivement porté la main à son visage.

— Même lorsque l’on a été maltraité, cela ne confère pas le droit d’abuser de ceux qui ne peuvent répondre.

— Je comprends, commandant, répondit Scarlett.

— Je suis ravi de vous l’entendre dire, répliqua sèchement Tyacke.

Il regarda le canot fraîchement repeint en vert et que l’on hissait par-dessus la coupée tribord avant de l’affaler doucement. Il se tourna ensuite vers le chef de pièce nouvellement désigné pour être son maître d’hôtel. C’était un homme petit et trapu, avec une tête de boxeur et le menton si bleu qu’il devait défier tous les rasoirs.

— Vous ! Vous là-bas !

L’homme sursauta et salua.

— Oui, commandant ?

— Votre nom est Fairbrother, c’est bien cela ? C’est long à prononcer quand on est pressé !

L’homme le regardait fixement.

— C’est çui qu’on m’a donné, commandant.

— Votre prénom ? lui demanda Tyacke.

— Eh bien, Eli, commandant.

— Parfait, Eli. Vous allez mener le canot jusqu’aux marches. Vous attendrez qu’ils arrivent, aussi longtemps que ça prenne.

Il aperçut une chaise de bosco que l’on affalait depuis la grand-vergue. Pour Lady Catherine, pas de doute. Il sentait que les hommes étaient curieux. Certains n’avaient pas vu de femme depuis un an ou davantage.

Qu’auraient-ils pensé s’ils avaient vu cette même Catherine Somervell hissée à bord de la Larne, et trempée jusqu’aux os dans sa chemise de marin ? Il savait bien que lui-même n’oublierait jamais ce jour.

Il balaya le port du regard. Il n’était pas venu à Falmouth depuis des années. Rien n’avait changé. Le château sévère sur une pointe et la grosse batterie de St Mawes en face. Il faudrait être un capitaine bien hardi pour essayer de s’emparer ici d’un bâtiment marchand.

Tyacke fit signe à son second épuisé.

— Je veux que vous mettiez toute la drome à l’eau. Et envoyez le commis à terre avec l’un des canots.

L’intérêt soudain de Scarlett ne lui échappa pas.

— Qu’il approvisionne tous les légumes frais qu’il trouvera, des fruits également s’il y en a. C’est bien possible, maintenant que les Espagnols sont devenus nos amis !

L’ironie n’échappa pas à Scarlett.

— Et je veux que le capitaine du Cann envoie des fusiliers dans sa chaloupe, plus un ou deux piquets sur le rivage, au cas où un misérable essaierait de s’enfuir.

Il avait parlé sans manifester la moindre émotion, et pourtant, Scarlett avait le sentiment qu’il éprouvait une certaine sympathie pour ceux qui auraient été tentés de se faire la belle.

— Canot pousse vers le bord, commandant !

C’était le lieutenant de vaisseau John Daubeny, officier de quart.

Tyacke appela un aspirant, mais il n’était pas sûr de son nom.

— Venez ici, mon garçon.

Il attrapa une lunette dans le râtelier et la posa sur l’épaule du jeune homme. Son nom finit par lui revenir : Essex, celui qui venait d’être désigné pour remplacer le secrétaire du commis.

Il braqua son instrument sur le canot et ses passagers.

Il reconnut vite les larges épaules de Yovell, le fidèle serviteur de Sir Richard. Il y avait également dans le canot des coffres et des caisses, ainsi que la superbe cave à vin offerte par Catherine à Bolitho pour remplacer celle qui reposait maintenant sur le fond avec l’Hypérion.

Scarlett était en train de dire, comme pour lui-même :

— Cela va faire un drôle d’effet, ne plus avoir le vaisseau uniquement pour nous.

Tyacke fit claquer sa lunette en la refermant.

— Merci, monsieur Essex. Vous avez exactement la bonne taille.

Le jeune garçon était un peu tendu, mais plutôt content. Tyacke le vit pourtant qui baissait les yeux au lieu de le regarder en face. Il dit d’une voix sourde :

— Et cela me fait un drôle d’effet à moi aussi, monsieur Scarlett.

Le canot accostait le long du bord. Hockenhull, leur gros bosco, sauta à bord avec quelques-uns de ses hommes pour aider au déchargement.

Tyacke leva la tête vers le grand-mât. Une marque d’amiral. Quel effet cela me fait-il ? Mais non, il ne trouvait pas. Ni fierté ni inquiétude. La chose était déjà entendue, comme une tempête en mer ou la première bordée qui part. Le destin déciderait de l’issue.

— Commandant ! Commandant ! Le canot s’en va !

Tyacke regardait le pont supérieur. Plus aucun désordre à présent. C’était un bâtiment de guerre.

— Pas si fort, monsieur Essex. Vous allez réveiller le bébé.

Quelques marins qui se trouvaient là éclatèrent de rire. Tyacke se détourna : c’était un commencement.

— Faites dégager l’entrepont, monsieur Scarlett, et armez la coupée.

Les boscos et les mousses qui portaient des gants blancs assez malvenus se rassemblèrent près de la porte de coupée, puis il y eut les bruits de bottes de la garde d’honneur. Leur lieutenant, David Merrick, avait tout de l’acteur qui ne maîtrise pas son rôle. Ensuite, les officiers et officiers mariniers, le capitaine du Cann dans sa tunique écarlate parfaitement coupée, plusieurs marines et la clique, fifres et tambours.

Tyacke aperçut un aspirant qui se tenait sous l’énorme grand-mât avec son râtelier de piques d’abordage. La marque était artistement roulée sur son épaule, il se dit que c’était dû à des doigts plus experts que les siens. Il leva sa lunette et l’aspirant Essex se précipita pour l’assister. Mais cette fois, il ne voulait partager ce moment avec personne.

Elle était habillée en vert sombre, ainsi qu’il l’avait pressenti. Elle portait un chapeau de paille attaché sous le menton par un ruban assorti. Bolitho était assis à côté d’elle, son sabre entre les genoux. Il avait posé une main près des siennes, mais sans la toucher.

Son aide de camp était avec eux et il aperçut à la barre la solide silhouette d’Allday. Le maître d’hôtel de Tyacke se tenait près de lui.

— Parés à la chaise !

Un jeune fifre s’humecta les lèvres et un autre petit garçon, un tambour, prit ses baguettes exactement comme on le lui avait enseigné.

Les mousses étaient descendus pour aider la dame à monter dans la chaise. Ce jour-là, bien des yeux la regardaient. Il y avait eu tant de rumeurs, de bavardages et de calomnies après la perte du Pluvier Doré.

Tyacke entendit un ordre étouffé : « Mâtez ! »

Allday semblait très calme, comme toujours. Les avirons se dressèrent telles deux rangées de côtes et restèrent immobiles pendant que le brigadier crochait dans les cadènes.

Le palan commença à grincer, deux marins firent passer la chaise par-dessus la coupée.

— Tiens bon !

Tyacke savait que Scarlett se posait des questions, mais il n’en avait cure.

Elle avait levé la tête vers lui, ses cheveux s’échappaient de dessous son chapeau. Elle posa une main sur l’épaule de Richard. Elle rit aux éclats, ôta ses chaussures et les tendit à Allday avant de se saisir des mains courantes en regardant sans ciller l’échelle de coupée dorée. Allday avait l’air inquiet, Avery également, mais elle attendit le moment propice avant de prendre les épaisses marches en bois qui suivaient en s’incurvant le retombé de muraille et qui étaient prévues pour des enjambées de marin, mais guère pour celles d’une dame.

Tyacke retint son souffle jusqu’à ce qu’il voie sa tête dépasser puis le bicorne de Sir Richard apparaître au-dessus de la dernière marche.

— Fusiliers, présentez… armes !

Les éclairs des baïonnettes, la poussière de brique qui s’élevait des brêlages ; les trilles des sifflets de manœuvre qui vous étourdissaient à cette faible distance.

Bolitho se découvrit pour saluer la dunette. Ses yeux s’arrêtèrent un bref instant sur le pavillon blanc qui ondulait en tête de mât. Il se tourna vers l’avant.

— Un moment, je vous prie.

Dans un profond silence, il tendit la main pour la soutenir tandis qu’Avery se baissait pour lui remettre ses chaussures. Elle avait une tache de goudron sur un pied et un trou dans un bas.

Elle se redressa, leurs regards se croisèrent et Tyacke put y lire de l’amour, mais surtout, un éclair de triomphe.

Les fifres et les tambours attaquèrent Cœur de chêne. C’est alors seulement que Bolitho leva les yeux vers le grand-mât, où sa marque montait fièrement avant de claquer au vent.

Il devinait que Catherine était profondément émue. Toute la société leur était hostile, mais ils avaient réussi cela et ils étaient ensemble.

Il resta là à fixer le pavillon jusqu’à s’en arracher des larmes, ou bien était-ce l’émotion ?

Sa marque. La croix de Saint-Georges.

Des vivats éclatèrent, mais ce n’était pas à cause de la marque ni de l’honneur que représentait cet événement. C’était pour elle. Cette femme de marin qui était venue parmi eux pour montrer qu’elle, au moins, se souciait d’eux et de son homme.

Le vacarme cessa et Catherine fit la révérence à Tyacke :

— Vous l’avez l’air en excellente forme, James Tyacke !

Alors qu’il tendait le bras pour lui baiser la main, elle leva le visage et l’embrassa sur la joue.

— Vous êtes si bienvenu ici.

Elle se tourna vers la lisse pour contempler les marins et les fusiliers qui ne disaient mot.

— Ils ne vous laisseront pas tomber.

Elle aurait pu aussi bien leur adresser la parole un par un, songea Tyacke. Ou s’adresser au vaisseau, à L’Indomptable.

 

Au nom de la liberté
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